Exposition

À propos du film photographique:
Paris -Vilnius | Le silence spectaculaire

En mettre plein les yeux : c'est le contraire exactement de donner à voir.

Georges Didi-Huberman, Aperçues

Le projet de l'exposition « Paris-Vilnius. Le silence spectaculaire » est né à la demande de son Excellence Monsieur l'Ambassadeur de Lituanie Nerijus Aleksiejunas, l'exposition est conçue et réalisée par Yolita René. La musique originale a été écrite par le compositeur lituanien Dominykas Digimas. Certains photographes-reporteurs de la chaîne d'informations lituanienne (LRT) ont participé à ce projet,  d'autres photographes indépendants de Vilnius et de Paris ont rejoint cette démarche. L'exposition propose une sélection de photographies qui témoignent des différents moments vécus dans ces deux villes pendant toute la durée du confinement, très précisément entre le 16 mars et le 11 mai 2020.

Alors que la télévision et l’ensemble des médias montraient en continu l’actualité de la pandémie au jour le jour, heure par heure, reflétant l’état d’urgence de cette étrange période, cette exposition virtuelle se propose d’inscrire ses images dans un temps plus long que celui de l’actualité.

Chaque image apporte à l’ensemble son témoignage particulier selon le regard et la sensibilité du photographe. Certains ont été plus attentifs à la géométrie des rues et à l’acuité des lignes et des tracés architecturaux.  D’autres nous ont plongé dans l’atmosphère des lieux et des situations suscitant différentes interrogations et découvrant un réel inconnu. C’est comme si ce silence inhabituel avait stimulé une large gamme d’impressions en passant du vide au plein et d’un silence incolore, celui de la pierre, au  silence subtilement coloré de créations textiles.

Dans ce montage le silence lié au confinement apparaît comme dans une partition musicale : une pause, un soupir, un demi-soupir... Une suspension sidérante en attente d'une reprise prochaine dont on ne sait pas quand elle va avoir lieu. Un soupir, une grâce dans le vacarme ambiant, libérant l’acuité du regard, fixant le rare, l'unique, le fragile. Les photographies d'une ruine contemporaine comme celle d'un château antique, nous invitent à poser un regard romantique sur l'éphémère de ce moment.

Un dialogue s’établit entre Paris et Vilnius, deux villes qui ne se ressemblent pas mais qui se sont rapprochées par leur destin face à la crise.

Cette exposition photographique virtuelle illustre une séquence exceptionnelle de notre histoire, elle permet aussi de découvrir les secrets et les beautés cachées des deux capitales.

Un événement unique et inédit a modifié notre approche et notre perception de l'espace urbain. La développement puis la régression du virus nous amenant vers le dé-confinement nous fait avancer vers une réappropriation collective de l'espace laissé vide depuis le début du confinement.

La sélection de photographies, en noir et blanc et en couleurs, de différents formats, est une tentative de réflexion sur l’importance du silence et sur la redécouverte de nos sens, mais aussi sur le rapport de chaque individu avec lui-même et avec le monde lorsque l'imprévisible se manifeste.

« L'oiseau rouge » de l'artiste lituanien Stasys Eidrigevicius est né pendant le confinement et surgit, le bec replié tel un masque, l’œil inquiet. Il est signé « Coronavirus 2020 ». Au début de chaque nouvelle séquence il fait une apparition rapide et dérangeante pour alerter notre attention et nous tenir en éveil face à ce virus qui nous inquiète. Il agit comme un leitmotiv qui nous rappelle le danger de cette présence invisible. Il intervient comme une alarme ou un rappel à l’ordre.

Juste avant la pandémie, nous étions pris par les contraintes de la vitesse et de l’accélération1 dans toutes les activités de la société, avec la surconsommation comme échappatoire.

Dans la séquence introductive cette course effrénée contre le temps est rendue visible par des images qui défilent, évoquant la vitesse avec laquelle le monde avançait. Puis l’arrêt brutal se produit.  « Stop » . Le monde se fige dans le silence comme si on avait arrêté la bande son.

La traversée de ce « silence spectaculaire » se déroule en cinq mouvements : 

Absences évoque le visage silencieux des villes sans aucune figure humaine. Un silence soudainement devenu visible dans l'espace urbain : les monuments figés dans le silence et leurs statues esseulées veillent sur la ville... Tel un œil d'Horus, celui d'un médecin apparaissant sur une affiche publicitaire, appelle à la solidarité avec le corps médical pour combattre le fléau.

Dans Solitudes, les photographes s’intéressent aux arpenteurs solitaires dans chacune des deux villes. Chacun se retrouve face à son destin, face à lui même. L’arpenteur solitaire médite, semblable à la figure de « L’homme qui marche » de Giacometti, se balançant d'une jambe à l'autre, il parcourt les passerelles de la fatalité qui relient les deux capitales. Quel est le sens de ce rapport avec soi-même ? Est-ce la crainte de se trouver seul avec son ombre ou bien le plaisir de savourer le vide et le silence ?

En continuant vers Distances, les habitants commencent à se réapproprier l'espace urbain, en conservant une nécessaire distanciation physique. C’est un rapport entre l’être et le vide, un dialogue constant entre Éros et Thanatos. Cette alternance de vie et de mort est elle le véritable moteur de notre activité ?

Avec Résonances, enfin, ce sont les échanges muets de regards au dessus des masques, le dialogue des pantomimes sur les balcons. Se mettre à vibrer avec le rythme de la nature renaissante avec l'arrivée du printemps, la volonté de rompre le silence  s'affirme: jouer, chanter, danser, applaudir... 

Masques nous amène à la sortie de cette parenthèse silencieuse. Ici apparaît une mosaïque de visages aux masques colorés. La créativité surgit avec la vie recommence. 
A la fin, le spectre, ou « masca » en latin tardif, quitte la ville...

Ce montage invite aussi à porter un regard poétique, en convoquant des auteurs connus, chers aux deux villes, Paris et Vilnius : Oscar.W.Milosz, Jonas Mekas,  Marcelijus Martinaitis, Rainer Maria Rilke.  Entre « Lire » et « relier »  à la manière d’Aby Warburg, entre lecture des citations et des images, chacun pourra y trouver son interprétation personnelle dans l'iconographie des territoires multiples et uniques.   


Yolita René,   
Juin 2020